
Mais quelle course ! Apres un peu moins de 9 jours de mer j'ai passé la ligne d'arrivée de la première étape de la Mini Transat en quatrième position.
Déçu en premier lieu d'échouer au pied du podium, je me suis très vite souvenu qu'on se moquait éperdument du podium d'étape : c'est en Martinique qu'on comptera les points! Et de ce point de vue je me réjouis d'être à ce stade complètement dans le match pour le podium final face à des concurrents souvent bien plus entraînés que moi. RIEN n'est joué et il ne faut absolument RIEN lâcher pour la 2e étape. Le 2 novembre prochain, date de notre "vrai" départ pour les Antilles, tous les compteurs repartent à 0...
En attendant je vous raconte cette première étape. Je ne sais pas si cela s'est vu à la cartographie mais il s'est passé beaucoup de choses !
Un lever aux aurores !
Après 2 semaines ponctuées de nuits de 12 heures, cela nous fait tous un peu bizarre de se lever d'un coup à 5h45 pour aller traverser l'Atlantique!
La direction de course nous a fixé à 6h30 l'heure de "configuration de course" c'est à dire l'heure à laquelle il n'y a le droit de ne plus rien embarquer ou débarquer du bord : pas un sandwich, une fourchette, un ciré ou même un stylo!


Ambiance surréaliste : A 6h30 pétantes j'ai donc déjà posé mon sac d'affaire à bord et je mange un plat de pâtes préparé avec d'amour par Victoire en prenant note des dernières consignes données par Benoit Mariette mon routeur sur mon roadbook. Quelque part la course a déjà commencé!
Seuls les ministes le savent (et nos proches et très proches aussi, malheureusement pour eux) : pendant 2 ans nous donnons absolument tout pour nos projets. Lorsqu'il faut (enfin!) larguer les amarres, ce n'est pas sans émotion, croyez moi!



En comparaison à 2015 où je partais le corps noué tout entier par l'émotion je peux vous assurer qu'on mûrit finalement pas mal entre ses 23 et 27 ans! Comme quoi on peut être un grand garçon et quand même avoir des lapins en peluche... (Photos Christophe Breschi et Stan Thuret)
Un départ pourri, mais alors bien bien pourri
Ne me demandez pas comment on peut avoir un défaut, en être conscient et ne pas réussir à l'éffacer : je ne sais pas ! Toujours est-il que lorsque le comité de course a sifflé la dernière minute avant le départ, à ma montre il en restait 4 (mon chrono a du se bloquer en route). Pris de court, je suis donc parti bien derrière tout le monde!

L'histoire de ma vie. Si je veux faire du bateau encore plus sérieusement quand je serai grand, il faudra vraiment faire quelque chose
Je passe la bouée de dégagement dans le tout dernier paquet de la flotte. Je la passe même derrière mon frère Thomas sur le 819, et ça, à mon avis, on n'a pas fini d'en entendre parler aux fêtes de famille...


En route, bien tranquillement, vers la bouée de dégagement. Comme vous le voyez, il n'y a pas trop de trafic... La plupart des concurrents sont loin devant (Photos Stan Thuret)
A l'arrivée à la bouée de dégagement nous continuons notre route au près vers la sortie des Pertuis. Je fais le choix de na pas virer tout de suite pour 2 raisons : (i) je pense qu'il y a un courant favorable le long de l'ile de Ré et (ii) aussi parce que j'ai tellement honte de mon départ que je veux un peu me cacher de la vedette où sont mes proches!

Manque de chance, la vedette avec mes proches me retrouve, presque dernier! Bien décalé à droite je vais quand même réussir à profiter des courants favorables le long de l'ile de Ré pour retrouver la tête de flotte. (Photo Stan Thuret)
Après quelques heures de course je me re-hisse dans le premier paquet de la flotte, bord à bord avec Félix du 916. Quel soulagement!
Un début de course tonique
Le premier phénomène qui nous attend est un passage de front. Le vent va progressivement monter jusqu'à 20-25 noeuds (force 5-6) de Sud-Ouest, puis tourner très franchement au Nord-Ouest en mollissant à 15 noeuds de vent (force 4). Les conditions de vent ne sont donc pas insurmontables, mais la mer, levée par les dépressions successives qui sont passées sur le Golfe de Gascogne (nous ne sommes pas partis avec 2 semaines de retard pour rien) et le cyclone Lorenzo qui n'est pas très loin vont nous rendre la vie insupportable! Insupportable, c'est bien le mot. Je mets 2 jours et demi à terminer mon premier sac journalier. Rien ne passait, je vomissais presque instantanément tout ce que je me forçais à manger.

A la poursuite du peloton de tête malgré le mal de mer
Trouver l'énergie à faire avancer le bateau malgré la difficulté des conditions qui nous ont tous mis à mal : ce n'est pas la que l'étape se gagnait, mais c'est là qu'elle pouvait se perdre - cela a été le cas pour certains.
Passage du Cap Finistere
Après le passage du premier front la première nuit, je m'alimente, bois et dort pour recharger les batteries du bonhomme. Je sors également tous mes panneaux solaires en faisant l'effort de bien les orienter pour recharger au maximum les batteries du bateau. C'est une course en double finalement!
La nuit suivante une bulle anticyclonique nous passe dessus. Je pensais initialement qu'elle allait passer dans notre nord, faisant tourner le vent par la droite. Je me décale donc légèrement à droite pour exploiter au mieux la rotation. Mauvaise surprise je vois le vent tourner progressivement à gauche et comprends mon erreur : la bulle va passer dans notre Sud! Je me recale tant bien que mal - les dégâts ne seront pas énormes.
En route vers le Cap Finistère, nous attendons le passage d'un deuxième front. Il faut ajuster notre placement entre l'envie d'aller chercher la bascule de vent qui nous permettrait de faire route au portant ou bien opter pour la sécurité et rester proche de la route directe.
Dans ces situations c'est un peu toujours pareil : si le front se déplace rapidement et qu'il touche les concurrents restés dans le sud en meme temps que les concurrents de l'ouest, ils auront fait du chemin pour rien et vont perdre beaucoup de temps dans l'histoire. En revanche, si le front se déplace lentement (en l'occurence, il était fort probable qu'il peine à franchir la pointe espagnole), les concurrents de l'est vont se "gaver" (terme technique) sous gennaker pendant que ceux du sud continuent au près à des vitesses deux fois moins élevées.

S'écarter-de-la-route-directe-pour-aller-chercher-le-front ou ne-pas-s'écarter-de-la-route-directe-pour-aller-chercher-le-front : telle est la question. En fait cela dépend de l'orientation du front (ici : Nord-Est / Sud-Ouest) et de sa vitesse de déplacement.
Particularité de cette course : la zone interdite du DST du Cap Finistère (en rouge sur la photo) réservée aux cargos et dans laquelle nous ne pouvons naviguer sous peine de disqualification. Pas d'entre-deux : il fallait vraiment choisir son camp!
La majorité de la flotte joue la sécurité en passant intérieur du DST, mais 2 bateaux, Julien du 869 et Guillaume du 868 vont prendre l'option risquée d'aller chercher le front et passer extérieur DST.
Au final ils ne nous doublent pas dans le passage de front, mais un peu plus tard, au passage dudit Cap Finistère. Le vent, qui a tourné au Nord-Ouest, tape dans les reliefs de la cote espagnole et ralentit en son voisinage. On appelle ça un "tampon". Au large, Julien et Guillaume ne subissent pas ce phénomène et nous doublerons. Au pointage du 4eme jour ils seront en tête, devant Ambrogio (!)
Pour résumer, ils ont touché la rotation suffisamment avant nous pour se décaler dans l'Ouest sans perdre en distance au but, ce qui les a mieux placés pour le passage du Cap Finisterre. On peut dire qu'ils avaient un coup d'avance sur nous!
De mon côté je reste dans le match dans le Top 10. J'ai réparé les petites avaries subies pendant les 2 passages de front, rempli mes gourdes d'eau, sorti 2 sacs de nourriture journaliers, chargé les batteries à bloc et surtout enfilé ma combinaison sèche Ursuit sous mon ciré. Je suis prêt à faire le poney pendant 48 heures. A nous deux, Alizé portugais!
L'alizé portugais
Tout le long de la cote portugaise, pendant 2 jours, nous allons "profiter" de vents à 20-25 noeuds pour avancer au plus vite vers l'arrivée. Depuis le départ on sait que c'est dans cette phase là que les écarts vont se créer et je m'en réjouis : je suis en général à l'aise dès qu'il y a des vagues et du vent fort portant (surtout pas de face, c.f. plus haut!). Le vent monte progressivement et du grand spi nous passons au spi medium et du spi medium nous passons au spi de brise. C'est parti pour 2 jours de surfs!
Avec Pierre 925 et Lauris 893 nous faisons le choix (sans se concerter) de faire un contre-bord vers l'est pour aller chercher encore plus de vent le long de la côte. Finalement il n'y aura pas beaucoup plus de vent mais beaucoup plus de mer, ce qui nous empêche de bien faire avancer nos bateaux : l'option qui pourtant était donnée favorable avant le départ ne paie pas, mais alors pas du tout! Quand nous recroisons avec le groupe qui est allé tout droit sans faire de détour, nous avons presque 10 milles de retard. Gloups...

Vous le voyez ce petit contre-bord vers l'Est? Et bien c'était une très mauvaise idée! Il m'a coûté 10 milles (environ 18km)
A ce moment là je me dit que si je ne peux pas être plus intelligent que les autres, alors il faut arrêter de réfléchir et uniquement chercher à aller plus vite qu'eux. Dès lors je me concentre uniquement sur la vitesse, et cela marche!
Pendant les 24 heures suivantes je suis flashé à 11.3nds de moyenne. C'est la troisième vitesse la plus rapide tous bateaux confondus (prototypes et séries). Vous allez vous moquer mais en bateau, pour être à 11.3 noeuds de moyenne il faut être tout le temps à au moins 12 noeuds (véridique!). Sur des bateaux aussi petits, c'est quelque chose qui vaut le coup d'être vécu. Bref, je n'ai pas vraiment eu le temps de profiter du Portugal et sur cette portion de course je n'ai ni beaucoup mangé ni beaucoup dormi...

Du lever de soleil au coucher de soleil : ne rien lâcher, surfer chaque vague et planter le moins possible dans la suivante
Un match-race de 4 jours jusqu'au finish !
Au sixième jour de course le vent se calme enfin. Je récupère enfin des forces en dormant et mangeant. Je fais un check approfondi du bateau. Il n'a rien, c'est une bonne nouvelle.
Je suis bord à bord avec Lauris 893. Tous les deux nous avons rattrapé notre retard sur le groupe qui n'a pas fait le contre-bord vers le Portugal : Amélie 944, Sebastien 909, Florian 946 et Mathieu 947. Bravo à nous !
A bord se met en place un vrai rythme de transat : levers et couchers de soleil, siestes, phase de barre, repas, vacation journalière et élaboration de la stratégie et surtout des longues glissades sous spi!
Siestes, vacation, heures à la barre, coucher de soleil, lever de lune : enfin un rythme de transat! Sur l'avant-dernière photo vous pouvez apercevoir Amélie 944 sur l'horizon, à gauche du soleil. On a passé 4 jours bords à bord sans pouvoir se distancer!
A ce jeu je rattrape Amélie 944, et ensemble nous remontons en deux jours jusqu'au niveau de Mathieu 947, en distançant Sebastien 909, puis Florian 946 puis Lauris 893. J'ai donc une bonne vitesse, c'est de bonne augure pour la deuxième étape qui se courra dans des conditions similaires!
Je m'efforce de rester centré sur le parcours en exploitant les bascules de vent pour privilégier toujours le bord le plus rapprochant. Julien 869 et Guillaume 868, eux, se sont décalés légèrement dans l'Est. Le dernier jour, nous leur passons devant.
Tout cela est plus facile à raconter qu'à faire! La deuxième partie de course n'a pas été beaucoup plus reposante que la première. Avec Amélie depuis le Portugal puis avec Matthieu les 2 derniers jours nous sommes constamment à portée AIS. C'est à dire que toutes les 30 secondes nous connaissons notre position exacte à tous les trois, ainsi que notre cap et notre vitesse. On se compare donc en permanence afin de voir si on peut aller plus vite ou si on va déjà plus vite que les autres :)


L'écran de mon AIS sur lequel j'ai eu les yeux rivés pendant 4 jours. L'instrument permet de voir les bateaux autour de nous dans un rayon de 5-10 milles (9-18 kms) et de connaitre leur cap et leur vitesse. Parfait pour espionner les concurrents! Ici les informations sont données pour un cargo (l'Ionian Star) mais cela marche aussi pour les concurrents.
Un anniversaire pas comme les autres
C'était à faire une fois dans sa vie : j'ai soufflé ma 28e bougie le 13 octobre tout seul sur mon bateau au milieu de l'océan!

Cela s'est presque déroulé comme ça dans la vraie vie, sauf que j'ai interdit à Jimmy de découper nos cartes marines pour faire des chapeaux et des guirlandes et je n'avais pas de bougies. Merci Mic pour le dessin :)
Pour l'occasion Matthieu 947, prévenu de l'occasion, m'a très brièvement laissé le rattraper, mais à minuit le 14 octobre il était déjà repassé devant. Merci à lui pour ce trop court moment de bonheur.
Avec le recul j'ai vraiment l'impression que mon anniversaire n'a pas lieu (mais je vous remercie tous pour vos messages reçus à mon arrivée à terre). Je pense que je vais rester à 27 ans et passer directement à 29 l'année prochaine. La SNCF m'accordera peut être la carte 12-27 et mon abonnement TGV max un an de plus, qui sait?
Finish dans un mouchoir de poche
Nous approchons des Canaries dans la nuit du 13 au 14 octobre, et nous passons la ligne au petit matin, après avoir slalomé entre tous les cargos stationnés devant le grand port de commerce de Gran Canaria.



Ravi du résultat, obtenu au terme d'une course où il encore fallut tout donner. Je crois qu'il n'y a que cela qui marche! Photos Christophe Breschi
Matthieu arrive 30 minutes devant moi, Amélie 7 minutes derrière. Devant nous Félix 916 et Ambrogio 943 ont été impériaux et terminent respectivement 1h30 et 3h devant moi. Bravo à eux!
Derrière nous les écarts sont aussi très serrés : il y a autant d'écart entre Ambrogio et moi qu'entre moi et le 10eme. Je vous le disais plus haut : rien n'est joué pour le classement général, devant comme derrière.

Suzette et Jimmy posent très fièrement devant leur trace sur cette première étape! C'est sur cette carte format A2 que je place un quelques points par jour pour me souvenir d'où nous sommes sur l'océan
Repos et préparation de la 2eme étape
Vous l'aurez compris, je suis déjà bien concentré sur la 2eme étape. Mais après avoir soigneusement lavé, rangé et vérifié le bateau, je me suis tout de même accordé quelques jours de pause sur l'ile de la Palma avec d'autres ministes dont je ne résiste pas à vous partager quelques souvenirs!




Mesdemoiselles / mesdames : sachez que j'ai à ma disposition le 06 de chacun de ces jeunes célibataires aventuriers des temps modernes. Ils ne sont peut être pas plus rapides que moi, mais ils sont largement plus beaux!
PS : Bravo Thomas !
J'en profite également pour féliciter mon frère Thomas qui est également arrivé, et bien arrivé! Terminer en 30e position à bord d'un bateau d'ancienne génération c'est une super performance dont il peut être très fier! Bravo à lui !
A très vite ! Nicolas