
Après un bon départ et un encalminage dans les eaux piégeuses du Solent, nous remontons presque toute la flotte pour passer en tête le phare de Tuskar, en Irlande, qui marque la mi-parcours. Alors que nous revenons en Manche en troisième position un coup de vent balaie la flotte et nous prenons la décision de nous abriter à Falmouth, afin de préserver le bateau et laisser la tempête passer. Nous repartons 30 heures plus tard et franchissons la ligne d'arrivée en 11e position, à une place du Top 10, notre objectif initial. Bref, il s'en est passé des choses sur cette Normandy Channel Race 2020 ! Un départ réussi Une fois n'est pas coutume, le départ avait lieu au coucher du soleil, ce qui a fait la part belle aux photographes présents sur le départ, les images sont très belles !
Sous spi vers les iles Saint Marcouf après un magnifique parcours côtier devant Sword Beach Photos Laurent Travert et Jean-Marie Liot
Les phases de départ n'ont jamais été mon point fort mais les courses en double offrent l'avantage d'être 2 à bord! Nous arrivons à très bien exécuter le parcours côtier en baie en privilégiant la simplicité dans les manœuvres, quitte parfois à ne pas porter de voile d'avant pendant quelques dizaines de secondes. Blasphèmerie peut-être, mais cela marche! Même les meilleurs joueurs de tennis servent occasionnellement à la cuillère :) Nous arrivons à accrocher le bon wagon de bateaux en route vers les Iles Saint Marcouf, à la racine de la presqu’île du Cotentin. La brise nocturne vient perturber le vent déjà faible. Bientôt cela tombe complètement et toute la flotte revient sur les bateaux de tête. Cela se reproduira très souvent par la suite ! Coup d'arrêt dans le Solent Dans la pétole molle nous arrivons regagner le large et le vent synoptique (non soumis aux différences de température entre la mer et la terre). Nous envoyons le gennacker et mettons le cap sur l'ile de Wight. Désormais la route est droite et le vent établi : priorité au réglage des voiles, à la trajectoire et au repos car il faudra avoir des forces pour la suite. Nous commençons notre rythme de siestes de 30 mins chacun.


Un confort qui parait sommaire aux non-initiés, mais pour un ancien ministe comme moi c'est une chambre d'hôtel 4 étoiles !


En approche de l'ile de Wight au petit matin. Pour compenser l'absence de Jimmy, non disponible pour la course pour cause de stage de préparation au Vendée Globe, Stan m'offre un lapin de consolation que nous baptisons Lloyd, comme le cargo de la compagnie "Hapag Lloyd" que nous croisions à ce moment-là.
Nous arrivons à Wight en 8eme position, contents d'être dans le peloton de tête. Le ciel est bleu, le soleil brille, la mer est plate. Cela me rappelle de nombreux souvenirs de mes navigations ici pendant mes études en Angleterre.

Passage au ras de Cowes. On a pu vérifier: les anglais roulent toujours à gauche! On a eu tort de penser qu'on ne reverrait pas l'Angleterre de si près pendant le reste de la course.
Attention à ne pas se relâcher cependant car le plan d'eau est ultra technique. Des veines de courant fort peuvent créer des différences de vitesses de presque 3 noeuds à quelques dizaines de mètres près. Nous laissons passer un bateau devant mais rattrapons la tête de flotte, qui n'est plus qu'à quelques centaines de mètres lorsque nous arrivons au célèbre phare des Needles.


Passage devant le célèbre phare des Needles, à l'extrémité Ouest de l'Ile de Wight! Cela ne se voit pas sur la photo, mais nous sommes sur le point de tomber dans un piège affreux
Alors que nous croyons en avoir fini avec le Solent, les anglais nous tendent un ultime piège. Avec 2 autres bateaux nous tombons dans le dévent de l'ile de Wight et restons empétolés pendant presque 2 heures, comme pris dans un sable mouvant dont nous ne pouvions nous extirper. Les premiers s'éloignent à plus de 10 noeuds vers la Cornouaille. Les bateaux qui nous suivaient nous voient, à la peine avec nos spis dégonflés. Ils prennent bon soin de rester à l'écart, en passant soit au ras de l'île ou bien au ras de la cote où souffle une petite brise. Pendant 2 heures nous ne pouvons qu'observer 8 bateaux nous doubler sans rien faire! Imaginez l'ambiance à bord... Pour nos 2 compagnons d'infortune la situation s'empire : ils s'échouent sur le banc des Shingles, n'ayant pas assez de vent pour lutter contre le courant.

Non le bateau ne gite pas à cause du vent (il n'y en a pas), le bateau est bel et bien posé sur sa quille ! Malgré des heures perdues le temps que l'eau remonte, Axel Tréhin et son équipier finiront à la 6eme place trois jours plus tard ! Bravo à eux
Au terme de 2 heures de supplice nous touchons enfin le vent qui nous permet de poursuivre notre route. Arrivés 8eme en Angleterre nous sommes désormais relégués à la 13eme place. Motivés à nous refaire, je ne suis pas moins déçu du traitement reçu par la perfide Albion que je pensais avoir quittée en 2014 en bons termes après 11 années de ma vie passées là-bas.
Ardaitheoir iontach ("remontée fantastique" en irlandais, NDR)

Le bout entre les dents (l'option couteau fut écartée pour des raisons de sécurité)
En route donc vers la pointe de Land's End. D'abord sous spi puis au près. Nous trouvons les bons réglages et tirons les bons bords à la cote pour profiter des renverses de courant et tirer profit de la brise thermique. Nous arrivons à Land's End au coude à coude avec 2 autres bateaux, bataillant pour la 6e place ! Déjà 7 places de regagnées!

Régate au contact à Land's End après 2 jours de course
Après un passage fantomatique de nuit dans la brume anglaise striée régulièrement par la lumière du phare de Longship, nous entrons en mer d'Irlande, c'est là où nous allons nous débrouiller le mieux!

En bonus, un dauphin irlandais "capturé" par le très talentueux Stan
Les fichiers météo récupérés a Land's End indiquaient 2 bascules successives : l'une à gauche puis une autre à droite, bien marquée. Or, au près il faut choisir son camp. Alors qu'en théorie il aurait fallu privilégier la dernière bascule, avec Stan nous faisons le pari de jouer à fond la première pour 2 raisons : la rotation à droite pourrait n'arriver que très tard et la zone rouge interdite à la navigation nous semblait un obstacle en plein milieu de la route Est.

En nous positionnement assez franchement à gauche à l'opposé de nos concurrents directs partis à droite, il faut avouer qu'on faisait pas franchement les malins à bord!

Finalement la bascule à droite est rentrée trop tard pour nos adversaires à l'Est, et nous nous glissons devant eux sous la zone interdite.
Notre pari fut le bon! Grâce à cette option tranchée nous nous hissons en toute tête de flotte et passons le phare de Tuskar en première position après trois jours de course. Pas peu fiers les Stan et Nico !


Passage en tête à Tuskar. Ne nous mentons pas à nous mêmes, on était sur un bon gros temps fort pour Stan et moi! Un souvenir qui restera longtemps gravé dans nos mémoires de marin...
Quatrième au retour en Angleterre
Pour la descente de Tuskar nous commençons sous spi dans 20 nœuds. Le vent refuse, nous finissons vent de travers au retour à Land's End. Inéluctablement nous sommes rattrapés par les bateaux plus récents que nous, notamment Crédit Mutuel, Banque du Léman et Lamotte Module Création. Malgré tout nous chérissons notre 4e place, cela reste pour nous un exploit! Mouillage à Falmouth La pointe de Land's End passée, le vent de nord Est monte assez franchement. Canalisé entre la France et l'Angleterre il souffle de face à plus de 30 noeuds (55km/h), avec rafales à 35-40 (65-75km/h). Mais c'est l'état de la mer qui sera le plus difficile pour nous. La houle atteint 3 mètres et du fait du fait de sa période extrêmement courte notre étrave tape dans les vagues toutes les 5 à 6 secondes sans pouvoir accélérer suffisamment entre 2 impacts.

La vie a bord devient très difficile. Sortir la tête du cockpit pour regarder vers l'avant et ajuster le réglage de la voile d'avant relève presque de l'impossible à cause des embruns. Sous l'effet du vent, la crête des vagues blanches se transforme en fumée et vient nous fouetter le visage. Le bateau tape tellement fort que les objets pourtant soigneusement matossés volent à l'intérieur du bateau. Chaque mouvement demande un effort démesuré car il faut constamment se tenir au bateau avec vigueur. Une vague plus forte que les autres vient même à me faire perdre l’équilibre alors que j'étais assis au poste de navigation, devant l'ordinateur. Je me cogne violemment contre une varangue sous le vent, perdant quelques secondes la respiration. La violence des chocs nous inquiète surtout pour le bateau, d'autant plus que dans les heures qui suivent le vent va continuer à monter, et que les forts courants de marée (113) vont générer une mer encore plus hachée au Raz Blanchard et a Barfleur, à la pointe du Cotetin. Nous décidons de tirer a la côte pour pouvoir espérer des conditions de mer et de vent plus maniables. Atteint du mal de mer, je suis obligé d'interrompre 2 fois ma séance de matossage (pendant laquelle il faut transporter tout le matériel d'un cote à l'autre du bateau) avant le virement pour vomir dans les pieds de Stan qui prépare la manœuvre debout dehors dans le cockpit. Cela soude l'équipage comme rien d'autre !

Le nouveau bord nous rapproche de la cote mais malheureusement les conditions ne changent pas : le vent ne souffle pas moins fort et la mer n'est pas plus calme
Nous apprenons que Lamotte Module Création doit abandonner suite à la casse du point de drisse de sa voile d'avant. Nous remontons donc à ce moment sur le podium, à la troisième place. Malgré cela, inquiets pour le bateau et sachant que les conditions devaient empirer, nous décidons de nous mettre a l'abri à Falmouth afin de préserver le bateau et notre sécurité. Une décision d'autant plus difficile à prendre que jamais nous n'aurions jamais osé viser un tel classement. Nous attendrons patiemment 30 heures a Falmouth à guetter le retour de conditions moins défavorables. Lorsque le soleil se lève le lendemain de notre arrivée, nous voyons autour de nous 3 autres Class40 qui nous ont rejoint au mouillage à Falmouth. Nous profitons de ce moment pour reprendre des forces, dormir, manger et faire un tour du bateau afin de repérer et réparer d'éventuels pépins. Les autorités portuaires viennent nous confirmer qu'en aucun cas nous ne pouvons débarquer à terre, Covid-19 oblige. Terriblement ennuyé, Stan cherche longuement les coordonnées d'un Fish & Chips qui pourrait venir nous livrer à bord, sans succès. Nous nous offrons quelques moments de détente en regardant 2 films sur l'ordinateur du bord et en buvant l'unique canette de Guinness embarquée que nous n'avions pas eu le temps d'ouvrir au passage de Tuskar.

Enfin nous pouvons dormir sur les bannettes, car d'habitude nous entassons le matériel dedans. Derrière Stan, une partie des 750L de ballasts qui servent à stabiliser le bateau
Le surlendemain à 3h du matin, nous reprenons la mer dans des conditions toujours compliquées (25 noeuds de vent, au près) mais totalement maniables par rapport a l'avant veille. Après une ultime traversée de Manche de 24 heures nous franchissons la ligne en 11e position, premiers des bateaux ayant fait escale. Au final, c'est un mélange de soulagement d'avoir ramené le bateau sans aucune égratignure (ou presque) et de déception car le classement final ne reflète pas notre début de course.
En revanche nous assumons complètement notre décision d'avoir relâché à Falmouth et n'avons aucun regret. S'ils montent sur le podium, les skippers de tête ont bien abîmé leur bateau, parfois au-delà du raisonnable. Sur l'un, des cloisons structurelles se sont décollées (risquant le démâtage). Sur l'autre, le bloc moteur s'est désolidarisé de la coque. Sur un troisième bateau, les chocs répétés ont eu raison des fixations de l'installation électronique, si bien que des composants à des dizaines de milliers d'euros sont désormais hors d'usage. Même sans compter le risque humain (car tout accident aurait pu avoir des conséquences importantes) nous ne regrettons pas d'avoir agi (pour une fois) en marins responsables!

Rincés après 6 jours passés sur le bateau, déçus du résultat sportif, mais sourire aux lèvres avec absolument 0 regrets!
Merci à Stan et Everial Notre duo avec Stan a extrêmement bien fonctionné. Nous sommes super complémentaires (je ne parle pas uniquement de son humour et de son énergie débordante!) et avons su trouver ensemble le bon rythme. De manière plus pragmatique, on a passé 14 jours ensemble dont 6 restreints dans 9m2 de surface habitable sans jamais se taper dessus! Je remercie donc très sincèrement Stan et Everial de m'avoir proposé de faire cette course ensemble. Je crois qu'on a réussi à montrer que le le 147 en avait sous le capot, et qu'il fallait compter sur lui lors des prochaines courses ! Un énorme merci également pour tous vos messages d'encouragement reçus pendant la course et notamment pendant l'escale à Falmouth. Cela fait super plaisir de se sentir entouré dans ces moments de doute!

A bientôt pour de nouvelles aventures!